Laon au temps des druides

 

 

 

Laudunum promontoire sacré

 

 

 

"Aussi loin que nous remontions dans son passé, notre ville apparaît comme un très important lieu de culte druidique. Ainsi, sur une page d'un manuscrit du IXe siècle, une main irlandaise a griffonné ces trois mots : « Laudunum, promontorium sacrum », Laon, promontoire sacré. (manuscrit 444, folio 170 verso).

 

La montagne de Laon, bien avant l'implantation romaine, n'était pas un site désert. Ici, comme au sommet de toutes les crêtes calcaires de l'Aisne, on trouve un très antique habitat, dans des cavernes creusées au sommet des falaises appelées Creuttes ou Crouttes. Ces demeures troglodytes étaient nombreuses, sur les faces ouest et est du plateau laonnois. Actuellement existe encore le quartier des Creuttes, sous le remblai des Écoles Normales et celui de la caserne Teremendam, surplombant les casernes de Semilly. Dans la pente, juste au-dessous des entrées de ces grottes, a été trouvé un important matériel préhistorique, composé de pointes de flèches, de silex taillés, de grattoirs et d'ossements d'animaux. Un sentier gravissant la pente, accédait aux habitations, il existe encore, Il ne doit pas être confondu avec le chemin de la Vieille Montagne. Il s'appelle VALEZIS. Son entrée, au bas de la montagne, derrière les casernes, était protégée par un petit fortin en forme de tour ronde, bâti en gros blocs de pierre assemblés, non maçonnés. Mis à jour en 1946, lors de l'exploitation d'une carrière de sable, il avait disparu le lendemain matin, sa présence gênant l'entrepreneur qui s'empressa de le détruire, ne laissant pas le temps d'en faire une photo. Ce petit ouvrage était fait pour protéger l'accès du chemin Valezis.

 

À l'autre extrémité du plateau, vers l'est, se trouvaient d'autres creuttes, dans un quartier que le Moyen-Âge appellera « Capricornus » en latin et « Chevresson » en vieux français, le quartier des chèvres et qui sera rayé de la carte sur l'ordre d'Henri IV, lors de la construction de la citadelle. Or, là aussi descendait en pente douce un chemin unissant les grottes à la vallée, le quartier de Vaux ; il s'appelle La Valise. Curieusement les deux voies d'accès les plus anciennes de notre plateau portent un nom presque identique : Valise, Valezis, qui est certes, d'origine gauloise.

 

Dans une Vie de Sainte Salaberge du VIIe siècle, notre ville est décrite comme « une forteresse, juchée sur une haute montagne, aux pentes abruptes, alimentée à ses portes par des fontaines jaillissant perpétuellement pour les besoins des hommes, des troupeaux et des chevaux ». Ces fontaines existent encore. La première jaillissait au sommet de la Valise, sous la porte Saint-Georges. Actuellement recueilli dans une canalisation souterraine, on entend le bruit de son écoulement : c'était une source très importante, avec un lieu de culte druidique, sur lequel nous reviendrons. La deuxième, au pied de la porte d'Ardon, alimente toujours un antique abreuvoir. Encore dans la cité, au nord, à la poterne du Prévot (ruelle du chemin de fer), la troisième, recouverte par le parking de la promenade nord, tombe dans un puits, dont l'entrée est barricadée sous les voies du Poma, à la hauteur de la ruelle de l'Éperon. Dans le Bourg, la quatrième près de l'ancienne porte Crehaut, à côté de la Congrégation, alimente la fontaine du cimetière Saint-Just. La cinquième était à hauteur de la sente du Château Gaillot. La sixième, sous la porte Vinox, coule dans l'abreuvoir des Dragons de la Reine. La septième était près de la porte Soibert (porte de Soissons) : la huitième était dans le quartier des Creuttes. Enfin une source alimentait l'étang de l'abbaye Saint-Vincent, « la septième merveille de Laon ». À ces neuf sources repérables encore actuellement, il faut ajouter les nombreux puits, comme de la place Saint-Julien, celui de la cour du palais épiscopal ou le puits Roland dans jardins du palais carolingien.

 

Les eaux jaillissantes au sommet de notre montagne faisaient du site un lieu privilégié celtique quand on sait le rôle primordial joué par les eaux dans les cultes druidiques.

 

Les noms de notre montagne ont fait couler des flots d'encre. De nombreux textes, vénérables par leur antiquité, appellent le site BIBRAX, LAUDUNUM ou encore LUGDUNUM. Au siècle dernier, certains historiens ont voulu assimiler le nom de Bibrax, au Bibrax de César dans la Guerre des Gaules, d'autres ont réfuté cette assertion avec autant de passion, et ont nié que Laon ait jamais pu s'appeler Bibrax. Loin du feu de ces controverses acharnées, il semble raisonnable de reconnaître que notre montagne s'est appelée Bibrax, mais qu'elle ne peut être confondue avec la Bibrax de César. Les fouilles de Monsieur Lobgeois ont montré que le camp de Saint-Thomas, au-dessus du passage de l'Aisne et du camp de César de Mauchamp, bien repéré aussi par la photo aérienne correspond aux descriptions du général romain.

 

Dans un antique manuscrit de Saint-Vincent, disparu à présent, un avocat de Laon, Étienne de Lalain, ( XVIIe siècle), dit avoir lu « Macrobe prêteur romain, ô Bibrax, édifia tes murailles. Ce nom t'avait été donné à cause de ta montagne, tendue comme deux bras ; plus tard on t'a nommé Laudunum, pour exprimer que tu es une montagne glorieuse ». Si l'étymologie de Bibrax, comparée aux bras est plus que contestable, elle est reprise dans une très ancienne prose en l'honneur de Saint Vincent : « Église réjouis-toi, second siège de la ville, ornement de Laudanum, que Saint Vincent te protège de son bras, toi, abbaye de Saint-Vincent, bâtie sur le bras droit de Bibrax.

 

Dans les Vies de deux saintes irlandaises, la première, Sainte Benoîte, s'arrêta d'abord « à Laudunum, autrefois appelée Bibrax » avant de se fixer à Origny ; la deuxième, Sainte Preste, eut la tête tranchée par la famille qui la poursuivait « dans la vallée de Bibrax » (au pied de l’abbaye St-Vincent, dans le quartier Ile-de-France).

 

Dans la Vita d'un autre Irlandais, Saint Guibert, au VIIe siècle, on lit : « Ce saint arriva à Laudunum, une montagne qui anciennement, d’après la rumeur publique, se serait nommée Bibrax. »

 

Au Xe siècle, dans son « Histoire du duc Guillaume », Dudon, doyen de Saint-Quentin, dit que ce seigneur se rendit à une assemblée des évêques à Laudunum, aussi appelée Bibrax.

 

Dans sa Vita, Guibert de Nogent, racontant les évènements tragiques de la commune de Laon, écrit que « les grandes dames s'enfuirent de la cité, déguisées en religieuses et vinrent se réfugier à Saint-Vincent, en passant par la vallée de Bibrax ».

 

Enfin, sur la pierre tombale de l’un des abbés de l'abbaye Saint-Vincent, Baudouin, mort en 1222, on lisait : « pieux abbé, miroir de paix, lumière de Bibrax ».

 

Ces témoignages, plus un autre daté du XIIème siècle, rappellent que dans les temps reculés, Laon s'appelait Bibrax et que ce fut un préteur romain nommé Macrobe qui changea son nom en Laudunum, et doivent être pris en considération. Les études de toponymie gauloise révèlent d'ailleurs que nombre de sites fortifiés situés au sommet d'une montagne s'appelaient Bibracte ou Bibrax ; le plus célèbre étant Bibracte près d'Autun.

 

Nous verrons plus tard, en étudiant le Laon romain, que Macrobe, le préteur de Julien l'Apostat, édifia une forteresse au sommet de notre montagne et lui donna un nouveau nom - il ne fit en cela qu'obéir à la politique de Julien, très attaché à remettre à l’honneur les cultes gaulois pour barrer la route au christianisme naissant. Le nom choisi pour notre ville, Laudunum ou Lugdunum, est typiquement druidique. Il signifie «montagne du dieu Lau ou Lug », une divinité très archaïque, puisqu'elle serait antérieure au Ve siècle avant J.C.

 

C'est le dieu de la lumière, de l'arc-en-ciel : il s'intégrera plus tard au mythe de la déesse-mère. Le nouveau toponyme de notre cité n'est d'ailleurs guère original : à tel point qu'on lui a adjoint un qualificatif : Lugdunum clavatum, Laon fermé, fortifié, pour le distinguer de Lyon : Lugdunum Galliae, métropole des Gaules ; de Leyde Lugdunum Batavorum (des Bataves) ; de Saint-Bertrand-de-Comminges, autrefois Lugdunum Convenarum, « des rassemblements, des marchés » (sans doute de Loudun et de Londres).

 

Au VIIe siècle, le chanoine Leleu, dans son premier tome de l'Histoire de Laon (ms 500, t I, p.20) note que « de vieux annalistes racontent qu'en 1250 avant Jésus-Christ, il y avait ici un culte de la Vierge Mère, qui devait exister comme à Nogent-sous-Coucy ou à Chartres, avec une académie de druides ; notre historien rationaliste s'empresse de rejeter cette assertion pour lui incroyable. Les travaux récents de M. Hatt (Archeologia, 1966) et de M. Guillerme (Les temps de l’eau, la cité et les techniques) nous incite à analyser et reconsidérer la réalité druidique et le cycle du culte de la déesse-mère sur le site de Laon.

 

 A déesse-mère était l’épouse du dieu Taranis, que les Romains ont essayé de confondre avec Jupiter. Taranis, c’est le plus grand des dieux gaulois ; c’est le feu sidéral, le dieu des tempêtes et de la foudre, qui fait jaillir la pluie ; il est aussi le dragon des marécages : il tient dans sa main gauche une grande roue. Ainsi est-il représenté dans la statue retrouvée à Landouzy-la-Ville, et que Edouard Fleury reproduit dans son livre des Antiquités (t.1, p.61).

 

Dans le chaudron de Gundestrup, Taranis brandit la roue, qu'il va précipiter sur la terre, pour faire jaillir l'eau. C'étaient au cours des grandes rites du solstice d'été, que les textes des conciles du VIIIe et IXe siècles dénoncent en les appelant «vallationes », que se déroulaient les cérémonies, autour du feu et de la roue, au sommet d'une colline. Les feux de la Saint-Jean n'en furent qu'un pâle souvenir. A un gros pieu fiché en terre, était roulée une corde, que l'on faisait glisser très rapidement dans un sens, puis dans l'autre, jusqu'à ce que le feu jaillisse au moment du crépuscule ; le feu rituel se propageait à une grande roue qui était précipitée dans la pente, qu'elle dévalait, jusqu'aux marécages, où l'eau jaillissait au contact du feu, pour fertiliser la terre, comme le dragon fusant des eaux stagnantes.

 

Or, à Laon, le site où se déroulaient au solstice d'été, les vallationes du dieu Taranis, est très repérable. Il était entre le sommet du chemin Valezis, cette sente gauloise, et la source des dragons de la reine, sur le lieu-dit « La rouelle «, au-dessous du rempart, où fut construite une petite chapelle dédiée à Saint-Martin, ce saint invoqué dans tous les lieux où se déroulaient de grandes fêtes druidiques, afin de les christianiser. Le roi Louis VI le Gros, pour faciliter l’installation des Prémontrés au XIIe siècle, leur offrit la vigne dite « La Rouelle », et nos pieux chanoines, en souvenir du don royal, choisirent pour leurs armoiries, trois fleurs de lys cantonnant une belle roue, « la rouelle » du dieu Taranis !

 

Si nous suivons le déroulement des fêtes druidiques, au cours de l'année, sur le chaudron de Gundestrup, nous découvrons la déesse-mère, l'épouse de Taranis parée des bandelettes et phylactères, comme une jeune mariée gauloise. Mais c'était une belle infidèle ; chaque année, en de janvier, elle s'enfuyait pour rejoindre le dieu aux cornes de cerf. Ainsi est représentée cette divinité chtonienne, dieu de la fécondité sur une belle pièce du musée St Remi de Reims.

 

La déesse, pour rejoindre son amant après une course effrénée, empruntait les voies souterraines des sources, conduite par le serpent à tête de bouc, qui est la pluie s'infiltrant dans la terre après l’orage. Taranis, l'époux trompé, lançait à la poursuite de la fugitive une meute de chiens féroces, énormes molosses aux pelages constellés, afin de la dévorer. La déesse aurait été en danger de mort sans la protection de trois cavaliers casqués : le dieu Teutatès, reconnaissable au sanglier ornant sa coiffe, Bélénos et son corbeau - ailes et les quatre plumes déployées - envoyé en messager pour l’avertir la déesse des enchantements et sortilèges qui se préparaient ; et Loucetios, dont l'arc-en-ciel et l'œil permettaient de voir le chemin ; dieu de la lumière, il est la divinité de Laon.

 

Or, en 1849, le chercheur Edouard Fleury décrit deux monnaies d'or, trouvées dans le chemin de la Valise, qui évoquent le culte associé des dieux Belenos et Loucetios. La première de ces pièces présente sur une face un œil de profil et un arc-en-ciel, avec le mot Lucotio, et sur l’autre un cheval galopantet le mot « Ucotio » mutilé ; cette monnaie serait gauloise. La deuxième, un tiers de sou d'or mérovingien, porte sur l’avers un buste d'homme et le mot Lauduno, et sur l'envers, un corbeau volant, ailes déployées, les quatre plumes de la queue étalées, et le mot mutilé « Cloat », donc le Laon fermé et protégé par le corbeau de Bélénos. Il se trouve que Lyon, le Lugdunum galliae, s'appelle aussi la colline du corbeau.

 

On sait que la commémoraison de la fuite de la déesse-mère à la suite du cerf donnait lieu, plusieurs jours en fin de janvier, à des bacchanales et danses sexuelles effrénées, mentionnées par les auteurs latins. Elles se perpétuèrent à l’époque mérovingienne ; les évêques et en particulier Saint Eloi, stigmatisèrent ce carnaval gaulois de janvier, où l'on simulait la fuite du cerf par des « cervulos », ces enchantements d'hommes qui se déguisaient en cerf portant des bois, et vêtus des « panniaux » fendus. Malgré l'interdiction de l'église le carnaval résistera longtemps. Si les danses sexuelles et les ramures des cerfs sont proscrites, le carnaval du roi des Braies se poursuivra en notre ville pendant trois jours, à la fin du mois janvier, jusqu'au XVIe siècle. Une fois ce carnaval achevé, sa majesté laonnoise perdait ses braies - d'où son nom de roi des mauvaises braies. De nombreux méreaux étaient frappés à l'effigie des braies.

 

Mais l'important est d'étudier l'itinéraire du cortège, qui n'a pas varié, depuis l’ère gauloise. Il se formait devant l'abbaye Saint-Martin, donc au-dessus de la rouelle. Après un banquet servi par les Prémontrés, la joyeuse troupe installait le roi dans son « barreul », un chariot festif orné pour la circonstance, et avançant de taverne en taverne, le cortège atteignait les grandes halles, bâties sur l'esplanade au-dessus de la Valise. Le parcours druidique était conservé de la rouelle de Taranis aux sources du dieu Esus.

 

Le temps des amours terminés, les amants aspireront à reparaître sur la terre. Mais la déesse-mère et ses deux servantes n'échapperont pas totalement aux sortilèges ; elles seront transformées en grues et n'auront d'autre refuge qu'un arbre feuillu de la forêt. (Hatt remarque que, encore aujourd'hui, une grue désigne une femme de mauvaise vie). Esus parcourt alors les futaies à la recherche de taureaux sauvages qu’il sacrifiera pour leur sang, et dont les grues seront aspergées afin de retrouver leurs formes primitives. L'arbre où nichaient les grues est alors arraché et jeté tel quel dans un puits sacrificiel - la mère retrouve sa place auprès de son époux Taranis. Le cycle annuel est alors achevé.

 

L’importance druidique des puits et des sources est donc vérifiée : au sommet de la Valise on trouve la source Saint-George. Le site, bouleversé par la construction de la citadelle entamée par Henri IV et parachevée par Vauban, a été entièrement remanié en 1840 et en 1858. Lors de l'emploi de la mine pour anéantir les murailles romaines, les bulletins de la société académique de Laon (tome 6, 1857) rappellent, grâce à la plume de Mr. Duchange, « qu'à l'extérieur de la muraille écroulée, juste au-dessus de la fontaine Saint-Georges, apparut à une profondeur de 5 mètres, une énorme couche de fragments de poteries de toutes formes, et de toutes espèces, rouges, noires ou grises, de remarquables et hautes amphores, d'énormes jarres, ainsi que de très nombreuses briques à rebord ».

 

En l’absence d’études archéologiques, la destruction d'un tel site empêche de connaître l'un des deux pôles du monde druidique de la montagne de Laon. Nous verrons par la suite que cette société ne s'est pas évanouie brusquement et qu'elle va perdurer jusqu'en fin VIIe siècle ; au IIIe siècle elle connaîtra déjà un regain de popularité avec Julien l'Apostat. Son existence est attestée dans l'hagiographie de Saint-Remi ; les mesures prises par saint Colomban et ses disciples locaux, l'évêque Cagnoald, ses amis saint Eloi et l'irlandais saint Fiacre, montrent sa persistance, confirmée, cinquante ans plus tard, dans l'hagiographie de sainte Salaberge. Les mesures draconiennes prises par les conciles régionaux à la fin du VIIIe siècle contre ces pratiques druidiques rurales, attestent de leur longévité.

 

 

« O Bibrax ! Macrobe, le préteur édifia tes murailles et t’appela Laudunum »

 

Cette phrase très importante pour l'histoire de notre cité se trouvait mentionnée dans un antique manuscrit de Saint-Vincent, malheureusement disparu au cours des siècles.

 

Pour situer le développement de notre cité et sa place dans l'organisation de la Gaule romaine, il faut nous reporter à la correspondance orageuse, échangée sous Charles le Chauve, autour des années 870, entre l'archevêque carolingien, le grand Hincmar de Reims, et son neveu, évêque de Laon, prénommé lui aussi Hincmar. Pour abattre la morgue et l'indiscipline de cet Hincmar de Laon, son oncle démontre avec fougue et éclat la prééminence de « la cité de Reims, glorieusement établie, parce qu’antérieure dans le temps et supérieure par l'honneur à Laon, simple municipe, fondé par le préteur Macrobe » et, prenant le soin de citer ses sources, précise « selon les écrits de l'historiographe antique Eutrope ». Ailleurs Hincmar de Reims ajoute : « Laon n'a aucune place parmi les onze sièges épiscopaux de la province de Reims avant que Saint-Remi, quinzième archevêque de Reims, ne fasse de ce castrum un évêché, selon les principes des Conciles africains ». Or cette correspondance, plus qu'agressive, entre les deux prélats, à l'affût de la moindre inexactitude de l'adversaire dans son argumentation, nous donne la certitude très précieuse de la justesse des dires du prélat rémois.

 

Si nous analysons les termes utilisés pour qualifier notre cité, Laon est appelé « municipe », mot employé à la basse époque, dans un langage précieux et affecté, désignant une cité de petite importance, sans évêché, mais cependant protégé par des murailles, Laon est aussi un castrum, donc une petite forteresse en opposition à la « civitas » de Reims, cité épiscopale et grande ville romaine. Donc Laon ne peut en aucune façon surpasser, ni même égaler Reims.

 

D'autre part, l'historiographe antique Eutrope est un historien latin du Ve siècle, auteur d’un Breviarium Historiae Romanae, compilation claire et rapide dont hélas on ne possède plus aujourd’hui que quelques fragments – et qui ne concernent pas Laon. M. Devisse, dans sa remarquable thèse « Hincmar de Reims », est convaincu que l'archevêque de Reims possédait ce manuscrit dans sa riche bibliothèque.

 

Ammien Marcellin, autre historien du bas-Empire, nous présente le préteur Macrobe comme l’un des fidèles lieutenants de Julien l'Apostat.

 

Par-delà les jugements sévères et peu chrétiens de Grégoire de Naziance sur lui, il faut savoir que Julien, né à Constantinople en 331 et orphelin de mère, perdit son père et six cousins en 337, assassinés par le très chrétien empereur Constance pour les écarter du pouvoir. Lui-même exilé et gardé à l’écart en diverses « résidences surveillées », découvre Hésiode, Homère, la mythologie et regrette la perte du legs antique. En 355, son cousin, l'empereur Constance Il, son cousin le fait appeler à Milan pour lui confier la restauration du gouvernement des Gaules. Sans liberté de mouvement, ce jeune César va, contre toute attente, remporter une éclatante et foudroyante victoire sur les Alamans, à Strasbourg en août 357. Installé à Lutèce, dont il fait sa résidence d'hiver, il y est proclamé Auguste par ses troupes.

 

Il charge alors ses lieutenants de réorganiser le système défensif du nord de la Gaule ; parmi ces officiers, Eutrope et Ammien Marcellin citent le préteur Macrobe, chargé du site de Laon et Jovin, maître de la cavalerie puis maître des armées. En 363, devenu empereur, Julien entame sa campagne de Perse, qui tourne au désastre ; il est mortellement blessé par une flèche à Ctésiphon le 26 juin 363, tout comme son fidèle Macrobe, et leur armée dispersée. Jovin, resté à Reims pour assurer la défense de la Gaule, veille sur « l'ordre païen » - une stricte application de la politique anti-chrétienne de Julien, ainsi que le montre M. Pietri dans un article sur la conversion chrétienne en Belgique seconde d'un officier de l'armée de Julien : Jovin. Cette conversion doit être postérieure à 367, quand ce général fit construire la basilique jovinienne (future église St-Nicaise), où il fit placer son tombeau aux décors païens (musée Saint-Remi de Reims).

 

Ce résumé des actions de Julien permet de dater la présence de Macrobe à Laon pour édifier les fortifications, entre 357 et 363 ; elle éclaire aussi le choix d’un nom druidique, Laudunum, montagne du dieu Lou ou Lau, cavalier protecteur de la déesse-mère, près de sanctuaires druidiques dont les rites et les fêtes semblent faire un retour.

 

Les camps romains du Bas-Empire ont de faibles superficies : 20 ha pour Reims, 12 pour Troyes, 14 pour Tournai, 12 pour Soissons, 10 pour Beauvais, 6 pour Arras et Amiens, 7 pour Châlons, 6 pour Senlis et paris. Le plateau de Laon couvre 39 ha, un espace trop vaste pour une structure défensive militaire au IVe siècle.

 

En cantonnant la forteresse sur la partie est, on tira profit de l’étranglement central du plateau au niveau de la place de l’Hôtel-de-ville, en le barrant du nord au sud par un mur massif. Les plans du XVIIe et du XVIIIe siècles mentionnent ce mur massif, dit « mur Macrobe », à l’ouest de la tour de Philippe-Auguste et du palais de Louis VII le jeune, mur percé d’une porte dite « Mortée », seul accès entre la cité et le bourg. Des fondations de cette murailles subsistent dans des sous-sols d’habitations à l’ouest de la grande place. L’enceinte formée par le mur de Macrobe contient 18 ha – une superficie comparable à celle de Reims. Cela a été récemment contesté par des chercheurs, le Belge Vercauteren ou l’Allemand C. Brühl, qui fixèrent le tracé de l’enceinte romaine le long de la rue des Cordeliers et Sainte-Geneviève (George Ermant), relevant des vestiges de murs et de portes, la rue de la Herse séparant la cathédrale de l’ancien palais carolingien : sans voir que ces éléments sont postérieurs et constituent les limites du quartier médiéval des chanoines.

 

D’ailleurs, plusieurs articles parus dans le Bulletin de la Société Académique de Laon entre 1835 et 1855, font état de découverte de murs romains parfaitement cimentés lors de travaux militaires le long des remparts sud jusqu’à la porte d’Ardon. Ces fondations romaines se poursuivaient vers l’ouest, incluant plus tard l’abbaye Sainte-Marie-Saint-Jean – dont la fondatrice, sainte Salaberge, choisit l’emplacement pour ses remparts protecteurs. Ces fortifications continuaient jusqu’au mur Macrobe pour inclure le petit temple de Mars."

 

 

Avec Suzanne Martinet, Laon, promontoire sacré : Des druides au IXe siècle, 1994, Ed. Laon