Ithaque

 

 

Σα βγεις στον πηγαιμό για την Ιθάκη,

να εύχεσαι νάναι μακρύς ο δρόμος,

γεμάτος περιπέτειες, γεμάτος γνώσεις.

 

Τους Λαιστρυγόνας και τους Κύκλωπας,

τον θυμωμένο Ποσειδώνα μη φοβάσαι,

τέτοια στον δρόμο σου ποτέ σου δεν θα βρεις,

αν μέν’ η σκέψις σου υψηλή, αν εκλεκτή

συγκίνησις το πνεύμα και το σώμα σου αγγίζει.

 

 

Τους Λαιστρυγόνας και τους Κύκλωπας,

τον άγριο Ποσειδώνα δεν θα συναντήσεις,

αν δεν τους κουβανείς μες στην ψυχή σου,

αν η ψυχή σου δεν τους στήνει εμπρός σου.

 

 

Να εύχεσαι νάναι μακρύς ο δρόμος.

Πολλά τα καλοκαιρινά πρωιά να είναι

που με τι ευχαρίστησι, με τι χαρά

θα μπαίνεις σε λιμένας πρωτοειδωμένους·

να σταματήσεις σ’ εμπορεία Φοινικικά,

και τες καλές πραγμάτειες ν’ αποκτήσεις,

σεντέφια και κοράλλια, κεχριμπάρια κ’ έβενους,

και ηδονικά μυρωδικά κάθε λογής,

όσο μπορείς πιο άφθονα ηδονικά μυρωδικά·

σε πόλεις Aιγυπτιακές πολλές να πας,

να μάθεις και να μάθεις απ’ τους σπουδασμένους.

 

Πάντα στον νου σου νάχεις την Ιθάκη.

Το φθάσιμον εκεί είν’ ο προορισμός σου.

Aλλά μη βιάζεις το ταξείδι διόλου.

Καλλίτερα χρόνια πολλά να διαρκέσει·

και γέρος πια ν’ αράξεις στο νησί,

πλούσιος με όσα κέρδισες στον δρόμο,

μη προσδοκώντας πλούτη να σε δώσει η Ιθάκη.

 

Η Ιθάκη σ’ έδωσε τ’ ωραίο ταξείδι.

Χωρίς αυτήν δεν θάβγαινες στον δρόμο.

Άλλα δεν έχει να σε δώσει πια.

 

Κι αν πτωχική την βρεις, η Ιθάκη δεν σε γέλασε.

Έτσι σοφός που έγινες, με τόση πείρα,

ήδη θα το κατάλαβες η Ιθάκες τι σημαίνουν.

 

 

Quando ti metterai in viaggio per Itaca

devi augurarti che la strada sia lunga,

fertile in avventure e in esperienze.

 

I Lestrigoni e i Ciclopi

o la furia di Nettuno non temere,

non sarà questo il genere di incontri

se il pensiero resta alto e un sentimento

fermo guida

il tuo spirito e il tuo corpo.

 

 

In Ciclopi e Lestrigoni, no certo,

né nell'irato Nettuno incapperai

se non li porti dentro

se l'anima non te li mette contro.

 

 

 

Devi augurarti che la strada sia lunga.

Che i mattini d'estate siano tanti

quando nei porti - finalmente e con che gioia -

toccherai terra tu per la prima volta :

negli empori fenici indugia e acquista

madreperle coralli ebano e ambre

tutta merce fina, anche profumi

penetranti d'ogni sorta;

più profumi inebrianti che puoi,

va in molte città egizie

impara una quantità di cose dai dotti

 

 

 

 

Sempre devi avere in mente Itaca -

raggiungerla sia il pensiero costante.

Soprattutto, non affrettare il viaggio;

fa che duri a lungo, per anni, e che da vecchio

metta piede sull'isola, tu, ricco

dei tesori accumulati per strada

senza aspettarti ricchezze da Itaca.

 

 

Itaca ti ha dato il bel viaggio,

senza di lei mai ti saresti messo

in viaggio: che cos'altro ti aspetti ?

 

E se la trovi povera, non per questo Itaca ti avrà deluso.

Fatto ormai savio, con tutta la tua esperienza addosso

già tu avrai capito ciò che Itaca vuole significare.

 

 

Lorsque tu mettras le cap sur Ithaque,

fais de sorte que ton voyage soit long,

plein d'aventures et d'expériences.

 

Les Lestrygons et les Cyclopes,

et la colère de Poséidon ne crains,

ils ne se trouveront point sur ton chemin

si ta pensée reste élevée, si une émotion de qualité envahit

ton esprit et ton corps.

 

 

Lestrygons Cyclopes,

et la fureur de Poséidon tu n'auras à affronter

que si tu les portes en toi,

si c'est ton âme qui les dresse devant toi.

 

 

 

Fais de sorte que ton parcours soit long.

Que nombreux soient les matins

où - avec quel délice et quelle joie ! -

tu découvriras des ports inconnus,

des ports nouveaux pour toi, et tu iras

t'arrêter devant les échoppes Phéniciennes

pour acquérir les belles marchandises

nacres, coraux, ambres,

ébènes

et surtout beaucoup de parfums voluptueux ;

et tu iras d'une ville Égyptienne à l'autre

pour apprendre, et encore apprendre, de la bouche des savants.

 

 

La pensée d'Ithaque ne doit pas te quitter.

Elle sera toujours ta destination.

Mais n'écourte pas la durée du voyage.

Il vaut mieux que cela prenne de longues années et que déjà vieux tu atteignes l'île,

riche de tout ce que tu as acquis sur ton parcours et sans te dire

qu'Ithaque t'amènera des richesses nouvelles.

 

Ithaque t'a offert le beau voyage.

Sans elle, tu n'aurais pas pris la route.

Elle n'a plus rien à te donner.

 

Et si tu la trouvais pauvre, Ithaque ne t'a pas trompé.

Sage à présent et plein d'expérience,

tu as certainement compris

ce que pour toi Ithaque signifie.

 

 

As you set out for Ithaka

hope the voyage is a long one,

full of adventure, full of discovery.

 

 

Laistrygonians and Cyclops,

angry Poseidon—don’t be afraid of them :

you’ll never find things like that on your way

as long as you keep your thoughts raised high,

as long as a rare excitement stirs your spirit and your body.

 

Laistrygonians and Cyclops,

wild Poseidon—you won’t encounter them

unless you bring them along inside your soul,

unless your soul sets them up in front of you.

 

 

Hope the voyage is a long one.

May there be many a summer morning when,

with what pleasure, what joy,

you come into harbors seen for the first time;

may you stop at Phoenician trading stations

to buy fine things,

mother of pearl and coral, amber and ebony,

sensual perfume of every kind—

as many sensual perfumes as you can ;

and may you visit many Egyptian cities

to gather stores of knowledge from their scholars.

 

 

Keep Ithaka always in your mind.

Arriving there is what you are destined for.

But do not hurry the journey at all.

Better if it lasts for years,

so you are old by the time you reach the island,

wealthy with all you have gained on the way,

not expecting Ithaka to make you rich.

 

 

Ithaka gave you the marvelous journey.

Without her you would not have set out.

She has nothing left to give you now.

 

And if you find her poor, Ithaka won’t have fooled you.

Wise as you will have become, so full of experience,

you will have understood by then what these Ithakas mean.

 

 

Brichst du auf gen Ithaka,

wünsch dir eine lange Fahrt,

voller Abenteuer und Erkenntnisse.

 

Die Lästrygonen und Zyklopen,

den zornigen Poseidon fürchte nicht,

solcherlei wirst du auf deiner Fahrt nie finden,

wenn dein Denken hochgespannt, wenn edle

Regung deinen Geist und Körper anrührt.

 

Den Lästrygonen und Zyklopen,

dem wütenden Poseidon wirst du nicht begegnen,

falls du sie nicht in deiner Seele mit dir trägst,

falls deine Seele sie nicht vor dir aufbaut.

 

Wünsch dir eine lange Fahrt.

Der Sommer Morgen möchten viele sein,

da du, mit welcher Freude und Zufriedenheit!

in nie zuvor gesehene Häfen einfährst;

halte ein bei Handelsplätzen der Phönizier und erwirb die schönen Waren,

Perlmutt und Korallen, Bernstein, Ebenholz

und erregende Essenzen aller Art,

so reichlich du vermagst, erregende Essenzen;

besuche viele Städte in Ägypten,

damit du von den Eingeweihten lernst und wieder lernst.

 

Immer halte Ithaka im Sinn.

Dort anzukommen, ist dir vorbestimmt.

Doch beeile nur nicht deine Reise.

Besser ist, sie dauere viele Jahre;

und alt geworden lege auf der Insel an,

reich an dem, was du auf deiner Fahrt gewannst,

und hoffe nicht, dass Ithaka dir Reichtum gäbe.

 

Ithaka gab dir die schöne Reise.

Du wärest ohne es nicht auf die Fahrt gegangen.

Nun hat es dir nicht mehr zu geben.

 

Auch wenn es sich dir ärmlich zeigt, Ithaka betrog dich nicht.

So weise, wie du wurdest, und in solchem Maß erfahren,

wirst du ohnedies verstanden haben, was die Ithakas bedeuten.

 


 

 

 

Télémaque et le secret de Cléomène

 

 

« Télémaque ne voyant pas son père Ulysse parmi tous ces rois, chercha du moins des yeux le divin Laërte, son grand-père. Pendant qu’il le cherchait inutilement, un vieillard vénérable et plein de majesté s’avança vers lui. Sa vieillesse ne ressemblait point à celle des hommes que le poids des années accable sur la terre ; on voyait seulement qu’il avait été vieux avant sa mort : c’était un mélange de tout ce que la vieillesse a de grave avec toutes les grâces de la jeunesse ; car ces grâces renaissent même dans les vieillards les plus caducs, au moment où ils sont introduits dans les Champs Élysées. Cet homme s’avançait avec empressement et regardait Télémaque avec complaisance, comme une personne qui lui était fort chère. Télémaque, qui ne le reconnaissait point, était en peine et en suspens.

 

"Je te pardonne, ô mon cher fils, lui dit le vieillard, de ne me point reconnaître : je suis Arcésius, père de Laërte. J’avais fini mes jours un peu avant qu’Ulysse, mon petit-fils, partît pour aller au siège de Troie ; alors tu étais encore un petit enfant entre les bras de ta nourrice : dès lors j’avais conçu de toi de grandes espérances ; elles n’ont point été trompeuses, puisque je te vois descendu dans le royaume de Pluton pour chercher ton père et que les dieux te soutiennent dans cette entreprise. Ô heureux enfant, les dieux t’aiment et te préparent une gloire égale à celle de ton père !

 

Ô heureux moi-même de te revoir ! Cesse de chercher Ulysse en ces lieux : il vit encore, et il est réservé pour relever notre maison dans l’île d’Ithaque. Laërte même, quoique le poids des années l’ait abattu, jouit encore de la lumière et attend que son fils revienne lui fermer les yeux. Ainsi les hommes passent comme les fleurs, qui s’épanouissent le matin et qui, le soir, sont flétries et foulées aux pieds. Les générations des hommes s’écoulent comme les ondes d’un fleuve rapide ; rien ne peut arrêter le temps, qui entraîne après lui tout- ce qui paraît le plus immobile. Toi-même, ô mon fils, mon cher fils, toi-même, qui jouis maintenant d’une jeunesse si vive et si féconde en plaisirs, souviens-toi que ce bel âge n’est qu’une fleur, qui sera presque aussitôt séchée qu’éclose. Tu te verras changer insensiblement : les grâces riantes et les doux plaisirs qui t’accompagnent, la force, la santé, la joie, s’évanouissent comme un beau songe ; il ne t’en restera qu’un triste souvenir ; la vieillesse languissante et ennemie des plaisirs viendra rider ton visage, courber ton corps, affaiblir tes membres, faire tarir dans ton cœur la source de la joie, te dégoûter du présent, te faire craindre l’avenir, te rendre insensible à tout, excepté la douleur. Ce temps te paraît éloigné : hélas ! tu te trompes, mon fils ; il se hâte, le voilà qui arrive : ce qui vient avec tant de rapidité n’est pas loin de toi ; et le présent qui s’enfuit est déjà bien loin, puisqu’il s’anéantit dans le moment que nous parlons et ne peut plus se rapprocher. Ne compte donc jamais, mon fils, sur le présent ; mais soutiens-toi dans le sentier rude et âpre de la vertu par la vue de l’avenir. Prépare-toi, par des mœurs pures et par l’amour de la justice, une place dans cet heureux séjour de la paix.

 

Tu verras enfin bientôt ton père reprendre l’autorité dans Ithaque. Tu es né pour régner après lui ; mais, hélas ! ô mon fils, que la royauté est trompeuse ! Quand on la regarde de loin, on ne voit que grandeur, éclat et délices ; mais, de près, tout est épineux. Un particulier peut, sans déshonneur, mener une vie douce et obscure ; un roi ne peut, sans se déshonorer, préférer une vie douce et oisive aux fonctions pénibles du gouvernement : il se doit à tous les hommes qu’il gouverne ; il ne lui est jamais permis d’être à lui-même ; ses moindres fautes sont d’une conséquence infinie, parce qu’elles causent le malheur des peuples, et quelquefois pendant plusieurs siècles. Il doit réprimer l’audace des méchants, soutenir l’innocence, dissiper la calomnie. Ce n’est pas assez pour lui de ne faire aucun mal ; il faut qu’il fasse tous les biens possibles dont l’État a besoin. Ce n’est pas assez de faire le bien par soi-même ; il faut encore empêcher tous les maux que d’autres feraient, s’ils n’étaient retenus. Crains donc, mon fils, crains une condition si périlleuse : arme-toi de courage contre toi-même, contre tes passions, et contre les flatteurs."

 

En disant ces paroles, Arcésius paraissait animé d’un feu divin et montrait à Télémaque un visage plein de compassion pour les maux qui accompagnent la royauté.

 

- Quand elle est prise - disait-il - pour se contenter soi-même, c’est une monstrueuse tyrannie ; quand elle est prise pour remplir ses devoirs et pour conduire un peuple innombrable comme un père conduit ses enfants, c’est une servitude accablante, qui demande un courage et une patience héroïque. Aussi est-il certain que ceux qui ont régné avec une sincère vertu possèdent ici tout ce que la puissance des dieux peut donner pour rendre une félicité complète. »

 

 

II

 

 

« Télémaque s’avança avec empressement vers les Phéaciens du vaisseau qui était arrêté sur le rivage. Il s’adressa à un vieillard d’entre eux, pour lui demander d’où ils venaient, où ils allaient, et s’ils n’avaient point vu Ulysse. Le vieillard répondit :

 

- Nous venons de notre île, qui est celle des Phéaciens ; nous allons chercher des marchandises vers l’Épire. Ulysse, comme on vous l’a déjà dit, a passé dans notre patrie ; mais il en est parti.

 

- Quel est - ajouta aussitôt Télémaque - cet homme si triste qui cherche les lieux les plus déserts en attendant que votre vaisseau parte ?

 

"C’est - répondit le vieillard - un étranger qui nous est inconnu : mais on dit qu’il se nomme Cléomène, qu’il est né en Phrygie, qu’un oracle avait prédit à sa mère, avant sa naissance, qu’il serait roi, pourvu qu’il ne demeurât point dans sa patrie, et que, s’il y demeurait, la colère des dieux se ferait sentir aux Phrygiens par une cruelle peste. Dès qu’il fut né, ses parents le donnèrent à des matelots, qui le portèrent dans l’île de Lesbos. Il y fut nourri en secret aux dépens de sa patrie, qui avait un si grand intérêt de le tenir éloigné. Bientôt il devint grand, robuste, agréable et adroit à tous les exercices du corps ; il s’appliqua même, avec beaucoup de goût et de génie, aux sciences et aux beaux-arts. Mais on ne put le souffrir dans aucun pays : la prédiction faite sur lui devint célèbre ; on le reconnut bientôt partout où il alla ; partout les rois craignaient qu’il ne leur enlevât leurs diadèmes. Ainsi il est errant depuis sa jeunesse, et il ne peut trouver aucun lieu du monde où il lui soit libre de s’arrêter. Il a souvent passé chez des peuples fort éloignés du sien ; mais à peine est-il arrivé dans une ville, qu’on y découvre sa naissance et l’oracle qui le regarde. Il a beau se cacher et choisir en chaque lieu quelque genre de vie obscure ; ses talents éclatent, dit-on, toujours malgré lui, et pour la guerre, et pour les lettres, et pour les affaires les plus importantes : il se présente toujours en chaque pays quelque occasion imprévue qui l’entraîne et qui le fait connaître au public.

 

C’est son mérite qui fait son malheur ; il le fait craindre et l’exclut de tous les pays où il veut habiter.

 

Sa destinée est d’être estimé, aimé, admiré partout, mais rejeté de toutes les terres connues. Il n’est plus jeune, et cependant il n’a pu encore trouver aucune côte, ni de l’Asie, ni de la Grèce, où l’on ait voulu le laisser vivre en quelque repos. Il paraît sans ambition, et il ne cherche aucune fortune ; il se trouverait trop heureux que l’oracle ne lui eût jamais promis la royauté. Il ne lui reste aucune espérance de revoir jamais sa patrie ; car il sait qu’il ne pourrait porter que le deuil et les larmes dans toutes les familles. La royauté même, pour laquelle il souffre, ne lui paraît point désirable ; il court malgré lui après elle, par une triste fatalité, de royaume en royaume, et elle semble fuir devant lui, pour se jouer de ce malheureux jusqu’à sa vieillesse. Funeste présent des dieux, qui trouble tous ses plus beaux jours et qui ne lui causera que des peines dans l’âge où l’homme infirme n’a plus besoin que de repos ! Il s’en va, dit-il, chercher vers la Thrace quelque peuple sauvage et sans lois qu’il puisse assembler, policer et gouverner pendant quelques années ; après quoi, l’oracle étant accompli, on n’aura plus rien à craindre de lui dans les royaumes les plus florissants : il compte de se retirer alors en liberté dans un village de Carie, où il s’adonnera à l’agriculture, qu’il aime passionnément. C’est un homme sage et modéré, qui craint les dieux, qui connaît bien les hommes et qui sait vivre en paix avec eux, sans les estimer. Voilà ce qu’on raconte de cet étranger, dont vous me demandez des nouvelles."

 

Pendant cette conversation, Télémaque retournait souvent ses yeux vers la mer, qui commençait à être agitée. Le vent soulevait les flots qui venaient battre les rochers, les blanchissant de leur écume. Dans ce moment, le vieillard dit à Télémaque :

 

- Il faut que je parte ; mes compagnons ne peuvent m’attendre.

 

En disant ces mots, il court au rivage : on s’embarque ; on n’entend que cris confus sur ce rivage, par l’ardeur des mariniers impatients de partir.

 

Cet inconnu, qu’on nommait Cléomène, avait erré quelque temps dans le milieu de l’île, montant sur le sommet de tous les rochers et considérant de là les espaces immenses des mers avec une tristesse profonde. Télémaque ne l’avait point perdu de vue et il ne cessait d’observer ses pas. Son cœur était attendri pour un homme vertueux, errant, malheureux, destiné aux plus grandes choses et servant de jouet à une rigoureuse fortune, loin de sa patrie. "Au moins, disait-il en lui-même, peut-être reverrai-je Ithaque ; mais ce Cléomène ne peut jamais revoir la Phrygie." L’exemple d’un homme encore plus malheureux que lui adoucissait la peine de Télémaque.

 

Enfin cet homme, voyant son vaisseau prêt, était descendu de ces rochers escarpés avec autant de vitesse et d’agilité qu’Apollon dans les forêts de Lycie, ayant noué ses cheveux blonds, passe au travers des précipices pour aller percer de ses flèches les cerfs et les sangliers. Déjà cet inconnu est dans le vaisseau, qui fend l’onde amère et qui s’éloigne de la terre. Alors une impression secrète de douleur saisit le cœur de Télémaque ; il s’afflige sans savoir pourquoi ; les larmes coulent de ses yeux, et rien ne lui est si doux que de pleurer.

 

En même temps, il aperçoit sur le rivage tous les mariniers de Salente, couchés sur l’herbe et profondément endormis. Ils étaient las et abattus : le doux sommeil s’était insinué dans leurs membres, et tous les humides pavots de la nuit avaient été répandus sur eux en plein jour par la puissance de Minerve. Télémaque est étonné de voir cet assoupissement universel des Salentins, pendant que les Phéaciens avaient été si attentifs et si diligents pour profiter du vent favorable. Mais il est encore plus occupé à regarder le vaisseau phéacien prêt à disparaître au milieu des flots qu’à marcher vers les Salentins pour les éveiller ; un étonnement et un trouble secret tient ses yeux attachés vers ce vaisseau déjà parti, dont il ne voit plus que les voiles, qui blanchissent un peu dans l’onde azurée. Il n’écoute pas même Mentor qui lui parle et il est tout hors de lui-même, dans un transport semblable à celui des Ménades, lorsqu’elles tiennent le thyrse en main et qu’elles font retentir de leurs cris insensés les rives de l’Hèbre, avec les monts Rhodope et Ismare.

 

Enfin, il revient un peu de cette espèce d’enchantement, et les larmes recommencent à couler de ses yeux. Alors Mentor lui dit :

 

- Je ne m’étonne point, mon cher Télémaque, de vous voir pleurer ; la cause de votre douleur, qui vous est inconnue, ne l’est pas à Mentor : c’est la nature qui parle et qui se fait sentir ; c’est elle qui attendrit votre cœur. L’inconnu qui vous a donné une si vive émotion est le grand Ulysse : ce qu’un vieillard phéacien vous a raconté de lui, sous le nom de Cléomène, n’est qu’une fiction faite pour cacher plus sûrement le retour de votre père dans son royaume. Il s’en va tout droit à Ithaque ; déjà il est bien près du port, et il revoit enfin ces lieux si longtemps désirés. Vos yeux l’ont vu, comme on vous l’avait prédit autrefois, mais sans le connaître ; bientôt vous le verrez et vous le connaîtrez, et il vous connaîtra, mais maintenant les dieux ne pouvaient permettre votre reconnaissance hors d’Ithaque. Son cœur n’a pas été moins ému que le vôtre ; il est trop sage pour se découvrir à nul mortel dans un lieu où il pourrait être exposé à des trahisons et aux insultes des cruels amants de Pénélope. Ulysse, votre père, est le plus sage de tous les hommes ; son cœur est comme un puits profond : on ne saurait y puiser son secret. Il aime la vérité et ne dit jamais rien qui la blesse : mais il ne la dit que pour le besoin, et la sagesse, comme un sceau, tient toujours ses lèvres fermées à toute parole inutile. Combien a-t-il été ému en vous parlant ! Combien s’est-il fait de violence pour ne se point découvrir ! Que n’a-t-il pas souffert en vous voyant ! Voilà ce qui le rendait triste et abattu. »

 

 

François de Salignac de La Motte Fénelon, Les Aventures de Télémaque, 1699.

 

 

 

 

https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Aventures_de_T%C3%A9l%C3%A9maque/Texte_entier

 

 

 

 

 

 

 

Après une longue journée de marche, les pèlerins arrivent à Burolo, près d'Ivrea, et sont accueillis dans l'ancien couvent de la Congrégation des Soeurs de l'Immaculée Conception d'Ivrea.

Une atmosphère chaleureuse et festive, et l'hospitalité de l'association Village Solidaire, créée en 2009, qui accueille et protège les pauvres.

 

Et dans la cour, des poèmes accrochés aux murs ; parmi eux, Ithaque, de Constantin Cavafis.

 

 

 

 

"Le Village Solidaire est un lieu où différents sujets (communautés, individus et associés) choisissent de vivre des relations d’entraide fondées sur les principes-piliers de l’Association mondiale de la famille et de la famille : Partage, réception et ouverture, et proposer une alternative concrète au modèle individualiste et favoriser un changement de société.
Le village veut offrir la possibilité de vivre des relations saines entre les différentes générations en améliorant l'expérience, le professionnalisme et la vie de toutes les personnes qui y travaillent.
L’objectif principal est donc la rencontre des générations qui conduit à ce lien social, souvent fragilisé par l'instabilité que provoque la crise du modèle économique et culturel actuel.
Le Village Solidarité, créé en 2009, est le lieu de vie d'une communauté de familles, réunie au sein de l'association "Villaggio Solidale Artaban", dédiée à l'accueil et à la solidarité entre familles et personnes en difficulté - et en particulier aux enfants aux jeunes.

La coopérative sociale "Alice nello specchio" et l'association "Luovo di Colombo" gèrent des mini-logements pour les familles ou les personnes célibataires dans le besoin, et organisent des sessions de formation sur le thème de l'accueil, la prise en charge. L'association Décroissance donne une impulsion à la réflexion et à la pratique du développement durable ; l'association "Tout sous le ciel" gère une pépinière familiale.
Le village, lieu d'hébergement pèlerin situé sur l'itinéraire de la Via Francigena, accueille associations et des groupes venus du tourisme social et d’activités de soutien.
L’association Tout sous le ciel croit fermement aux valeurs solidaires du Village, nécessaires à l'épanouissement des hommes et des femmes et à l’amélioration du monde dans lequel nous vivons ; un monde dans lequel les gens peuvent se soutenir mutuellement, renforcer ensemble la diversité et apprendre à gérer les conflits. Des qualités pour lesquelles vous pouvez poser les bases dès votre plus jeune âge, à la fois avec la pratique éducative et avec l'exemple donné par le monde des adultes.

 

 

http://www.tuttosottoilcielo.org/villaggio-solidale.php