Près de la croix de Jésus se tenait sa mère,

la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala.

Voyant sa mère et près d'elle le disciple qu'il aimait, Jésus dit à sa mère :

"Femme, voici ton fils".

Puis il dit au disciple : "Voici ta mère".

À partir de cette heure, le disciple la prit chez lui.

 

Évangile selon saint Jean, chapitre, 19, versets 25 -27.

 

 

 

 

Le Mystère de la Maison de la Vierge

 

Le mystère de La Maison de Marie à Éphèse est le reflet d'un mystère beaucoup plus vaste : celui des lieux où résida Marie après la mort et l'ascension de son fils Jésus.

Les recherches poursuivies jusqu'à nos jours n'ont pu mettre en pleine lumière les détails de la vie de celle qui avait soigneusement cherché à demeurer cachée, laissant les Apôtres présenter le Christ comme l'unique centre d'intérêt et de recherche des hommes de tous les temps.

Saint Paul, dont les épîtres garderont toujours un silence respectueux sur la personne de Marie, devait craindre, et à juste titre, qu'on n'établit une trop rapide comparaison entre la Mère du Christ et Artémis, la grande déesse d'Éphèse. Danger qui était loin d'être imaginaire. N'avait-il pas lui-même, au cours d'un de ses voyages en Anatolie, failli être lui-même divinisé à Iconium (Konya) ?(Actes, XIV, 11)

Ne verra-t-on pas plus tard, au IVe siècle, les Collyridiennes offrir des sacrifices à la Vierge Marie ?

 

Mais, si dans les premiers siècles, l'intérêt des chrétiens devait se porter avant tout sur la personne de Jésus, il était normal qu'on cherchât ultérieurement à obtenir des détails concernant la vie de la mère du Christ, et particulièrement touchant les lieux où elle avait passé les dernières années de son existence.

Notre but n'est pas d'entreprendre une étude exhaustive de la question de la présence de la Vierge à Meryem Ana, mais uniquement, dans une première partie, de démontrer, par la Bible et les écrivains ecclésiastiques allant du premier au IVe siècle, le fait de la présence de Jean et de Marie à Éphèse.

Nous laisserons délibérément de côté la question de la mort de Marie à Jérusalem, thèse qui n'apparait qu'au VIIe siècle. Dans une seconde partie nous relaterons l'histoire de la découverte de la maison-chapelle au XIXe siècle, y ajoutant quelques éléments touchant l'archéologie, les pèlerinages et l'attitude de la hiérarchie ecclésiastique à l'égard de ce sanctuaire marial.

 

 

Marie à Éphèse

 

Un passage de l’Évangile selon saint Jean semble nous suggérer la venue de la Vierge à Éphèse. Selon une tradition digne de foi, saint Jean écrivit son Évangile pour les Éphésiens. Son texte reflète donc les questions que se posaient et que lui posaient les Éphésiens et les réponses qu'il donnait à ces chrétiens. Parmi toutes les questions, une d'entre elles devait se trouver souvent posée. Elle concernait le rôle de Pierre et celui de Jean.

Pourquoi Marie était-elle toujours avec Jean et jamais avec Pierre ? II y avait là un grand sujet d'étonnement.

La Vierge, en effet, aurait pu demeurer, au moins de temps à autre, auprès de celui que le Christ avait donné comme tête visible à son Église. Jean qui, pourtant, n'aime pas les anecdotes personnelles, mettra donc dans son Évangile, malgré sa répugnance à se nommer et à se faire valoir, quelques versets qui seront une réponse au problème que se posaient les chrétiens d'Éphèse et qui allaient peut-être jusqu'à tracasser certains d'entre eux. Aussi, la lumière doit être faite sur la question de la présence de la Vierge auprès de Jean à Éphèse.

La théologie, la piété, la mystique ne peuvent s'appuyer qu'indirectement sur un texte qui, de par ses mots mêmes, se réfère à l'histoire ("à partir de ce moment") et à la géographie ("chez lui, dans sa maison"). Pour qui aime saint Jean et veut sympathiser avec lui, il sera toujours difficile d'imaginer qu'il ait voulu raconter aux Éphésiens une anecdote pour le plaisir de se raconter lui-même ou que ce n'est qu'à partir de ce "moment" de la Passion qu'il a vraiment "pris" La Vierge avec lui, chose qu'il n'aurait pas accomplie dès sa première rencontre avec la Mère du Christ.

Confiés l'un l'autre par Jésus lui-même, Marie et Jean ont dû respecter une des dernières volontés du Christ. Si Jean a pu laisser quelque temps Marie pour des courses apostoliques, ses absences n'ont pas dû être prolongées, ni les lieux où il se rendait extrêmement distants de l'endroit où résidait Marie.

Au début ils demeurèrent probablement à Jérusalem, mais au fur et à mesure que croissait dans la capitale palestinienne la communauté chrétienne, augmentait aussi l'irritation des autorités juives. La persécution commença par la lapidation du diacre Etienne en l'an 36. Les chrétiens commencèrent alors à se disperser en Judée et en Samarie. En 41 le roi Agrippa, petit-fils du meurtrier des innocents et fils de celui qui avait fait décapiter Jean-Baptiste, montait sur le trône. Pour plaire à ses ressortissants, il ordonna de mettre à mort Jacques, le frère de l'apôtre Jean, et fit emprisonner Pierre, le chef du collège apostolique. L'émoi fut grand dans la communauté. Marie devait approcher de 60 ans ; elle était encore vaillante.

Il est difficile de penser que saint Jean, alors que tous les apôtres quittaient la Palestine, ait pris le risque de se cacher avec Marie quelque part en Palestine, dans la montagne ou le désert, ou qu'il ait abandonné Marie seule en Palestine, d'autant plus que l'écrivain Eusèbe dit expressément qu'à cette époque il partit pour l'Asie. Étant donné ses sentiments et le respect qu'il avait pour les dernières volontés du Christ, il dut emmener avec lui Marie, afin qu'elle pût vivre dans le calme.

Deux points méritent, par ailleurs, d'être notés : d'abord le silence des Saintes Écritures sur la période de la vie de Jean qui va de 37 à 49 et ensuite le fait que le titre d'Apôtre de l'Asie ne fut pas donné à Paul qui séjourna pourtant plusieurs années dans cette région. En outre, il est assez curieux et vraiment surprenant de voir, en l'an 50, Paul et Barnabé traverser la Phrygie et la Galatie, régions situées au nord d'Éphèse, parce que l'Esprit-Saint leur avait interdit de prêcher la parole de Dieu en "Asie" même (à l’époque romaine, le terme « Asie » renvoyait au pourtour du littoral incluant Éphèse). La raison en est, d'après saint Jean Chrysostome, que Jean était déjà, depuis un certain temps, dans cette circonscription de l'Asie et qu'il y établissait l'Église.

Enfin, si Jean n'était venu à Éphèse qu'en l'an 67, après le martyre de Paul, comment aurait-il pu, ses forces commençant à décliner, parcourir les routes ardues de ces sept Églises de l'Apocalypse, auxquelles il ne s'intéressa tant que parce qu'il les avait visitées personnellement ? Comment aussi et surtout lui aurait-on décerné le titre d'« Apôtre » de l'Asie, titre réservé aux fondateurs d'ÉgIises, si l’Église d'Éphèse, fondée par Paul, avait alors déjà 25 ans d'âge?

Tout semble donc indiquer, d'après les données des Écritures, que Marie et Jean sont venus à Éphèse vers l'an 42.

Bien que jusqu'ici nous ne possédions aucune inscription concernant le séjour de Jean à Éphèse, de nombreux textes du IIe et du IIIe siècle nous affirment cependant la réalité de ce fait.

Citons, entre autres, saint Irénée, Polycarpe, Hippolyte, Eusèbe, Clément d'Alexandrie, Origène. Or tous ces auteurs écrivent seulement quelques années après la mort de Saint Jean. Saint Irénée, mort en 203, connut saint Polycarpe, disciple de Jean l'Apôtre. Il est donc tout proche des événements et son témoignage affirmant que Jean a écrit son Évangile à Éphèse (Adversus Haereses, III, I,1) a un poids immense. Extrêmement intéressante aussi est la deuxième lettre de Polycrate, évêque d'Éphèse, au pape saint Victor (189-199), qui mentionne que Jean a son tombeau à Éphèse (Migne, PG, 20,279). Clément d'Alexandrie, mort en 215, et le savant Origène (185-253) nous parlent aussi de la vie et de la mort de Jean dans la capitale de l'Asie.

Quant à Eusèbe (265-340), le grand historien de la primitive Église, il déclare qu'au moment de la persécution à Jérusalem "les apôtres se sont dispersés et que Jean a vécu en Asie et est mort à Éphèse" (Hist.eccl., III, 1). Peu de points d'histoire ancienne ont à leur appui, une aussi grande nuée d'auteurs que la question de la présence de Jean à Éphèse.

Certes, on ne parle point directement de Marie, mais on sait qu'en cette période des débuts de l'Église, les textes ne parlent que de ceux qui ont été établis "apôtres et colonnes de l'Église", Marie continuant encore, en quelque sorte, sa vie cachée.

Cependant un auteur du IVe siècle mérite une mention spéciale.

Saint Épiphane, qui vécut à Jérusalem ou en Judée jusqu'à l'âge de 52 ans (315-403), écrit : " Tandis qu'il est affirmé que Jean s'en alla pour un temps en Asie, il n'est dit nulle part qu'il prit la Sainte Vierge avec lui comme compagne de voyage ; sur ce sujet, l'Écriture garde un complet silence" (Panarion, 78,11).

On pourrait répondre à Épiphane que l'absence de mention du voyage de Marie à Éphèse ne prouve rien. L'Écriture ne contient qu'un résumé des vérités salutaires. Si les Actes des Apôtres semblent ignorer le passage de Pierre à Antioche ainsi que son séjour et son martyre à Rome, toutes choses certaines par ailleurs, pourquoi leur reprocher de passer sous silence le fait que Jean soit allé en Asie et qu'il ait pris la Vierge avec lui ?

Mais le texte d'Épiphane apporte, sans le vouloir, un argument de plus - et un appui solide - à la thèse de la présence de Marie à Éphèse.

L'œuvre que nous venons de citer, le Panarion, combat en effet certains moines qui s'appuyaient sur l'exemple donné par Jean et Marie à Éphèse, pour vivre eux-mêmes avec des moniales, trouvant en cela un idéal de vie religieuse. Le concile d'Ancyre (314) et saint Jérôme (347-407) avaient déjà condamné cet usage qui tendait à se répandre. Quoi de plus facile donc à Épiphane que de fermer la bouche à ces "agapets" (ainsi avait-on nommé ces religieux qui jugeaient bon de cohabiter avec des moniales) en leur disant dans un style direct : "Marie est toujours restée à Jérusalem. Nous avons vu son tombeau en tel endroit. Elle n'a jamais vécu avec Jean à Éphèse".

Une telle argumentation eût été irréfutable. Mais en face des Agapets qui, bien que vivant à Jérusalem, rapportent cette tradition que Jean et Marie ont vécu à Éphèse, Épiphane demeure coi. Il ne pourra utiliser contre eux que des arguments tirés du domaine de la morale. Sur la question de Marie à Éphèse, il n'a rien à opposer que le "silence" des Écritures : son attitude demeure toute de défense en face d'adversaires qui produisent un argument positif de tradition.

Saint Jérôme (347-419), l'une des plus grandes autorités, en ce qui concerne la topographie de la Jérusalem du IVe siècle, ne fait lui non plus nulle part allusion à un tombeau de Marie qui serait situé dans la Ville Sainte ou dans ses alentours. Il parle certes de Gethsémani, mais uniquement comme du lieu où Jésus a prié la veille de sa mort et où, en souvenir de cet événement, une église a été construite. S'il avait trouvé en ce même endroit un monument quelconque bâti sur la tombe de Marie, il n'eût pas manqué, en historien consciencieux, de le relever. Le silence de ce savant du IVe siècle est fort éloquent.

D'autant plus, qu'au moment où vivait saint Jérôme existait dans le monde une église dédiée à Marie. Cette église se trouvait à Éphèse.

Chacun sait qu'en 431 se tint à Éphèse le troisième Concile œcuménique. Son but était de proclamer solennellement la maternité divine de Marie, dogme que n'admettait pas Nestorius, évêque de Constantinople. Le Concile fut convoqué dans la seule et unique église de l'univers qui fût alors dédiée à Marie. Cette basilique avait été construite au temps de Constantin, après l'édit de Milan. Le fait que ce temple chrétien ait été consacré à Marie avant même le Concile d'Éphèse nous est connu de différentes manières : en font foi non seulement la lettre de convocation au Concile envoyée par saint Cyrille d'Alexandrie, mais encore une douzaine de passages des Actes du Concile et une inscription de l'évêque Hypatios (537).

Or ceci est d'une extrême importance.

On sait en effet que dans les premiers siècles, on ne consacrait d'église à tel ou tel saint que sur les lieux mêmes où la personne avait vécu ses dernières années ou y avait été martyrisée. L'existence donc d'une église de la Vierge à Éphèse, et seulement à Éphèse, est une preuve solide que Marie termina ses jours en cette ville.

On peut donc conclure que si aucun texte antérieur au VIe siècle n'affirme expressément que la Vierge a vécu à Éphèse, bon nombre d'indices allant du IIe au VIe siècle nous permettent légitimement de l'induire.

 

 

L'emplacement de la Maison de la Vierge (Meryem Ana)

 

Grégoire de Tours (538-594), dans l'œuvre duquel histoires et légendes sont parfois intimement mêlées, est le premier écrivain ecclésiastique à parler d'une vénérable chapelle située sur une montagne près d'Éphèse. "Au sommet d'une montagne proche d'Éphèse, écrit-il, il y a quatre murs sans toit, Jean habita à l'intérieur de ces murs" (Liber miraculorum, I, 30).

Serait-ce à partir de ce texte, ou de rapports écrits de voyageurs qu'on en serait arrive à parler de chapelle ?

En pareille matière, il ne faut être ni trop vite affirmatif ni sceptique de parti pris.

Qu'il y eût Éphèse, sur la montagne du Bülbül Dağ, une maison habitée autrefois par Marie, tel était en tout cas la tradition des Kirkindjiotes. On appelle de ce nom les habitants d'un petit village situé à 17 km de Meryem Ana et dont les habitants, chaque année le jour de l'Assomption, montaient en pèlerinage au sanctuaire. C'était de ce lieu, disaient-ils, que la Vierge était montée au ciel. On peut être surpris d'entendre pareille affirmation dans la bouche de ces paysans orthodoxes, alors que toute leur Église, à partir du moyen âge, pense que c'est à Jérusalem que Marie a fini ses jours. Pourtant, il n'y a là rien d'étonnant lorsque l'on songe que ces chrétiens étaient des descendants authentiques des chrétiens d'Éphèse et que, au cours des diverses persécutions, ils durent se réfugier dans la montagne, à l'est d'Éphèse. Ayant adopté la langue turque, ils avaient cependant gardé leurs traditions ancestrales.

Ces gens courageux, qui n'hésitaient pas à faire cinq heures de marche dans la montagne le jour du pèlerinage, devaient avoir une raison sérieuse de tenir à cette pratique. Ils avaient une tradition et, comme le dit M. Poulin, "cette tradition, ils ne l'ont pas inventée. Ils ne l'ont reçue ni de leurs voisins, ni de l'Église Orthodoxe. De qui donc ? De leurs pères, répondent-ils. Et ils doivent le savoir mieux que personne".

 

 

La découverte

 

En 1881, un prêtre français du diocèse de Paris, l'abbé Gouyet, eut l'idée d'aller à Éphèse pour vérifier l'exactitude de la description de la Maison de la Vierge, telle que la donnait la voyante allemande Catherine Emmerich (1774-1824) dans son livre "La Vie de la Sainte Vierge".

Monseigneur Timoni, archevêque de Smyrne, l'encouragea dans son dessein et lui donna un jeune homme pour l'accompagner dans ses recherches. L'abbé Gouyet se mit donc en route portant, dans sa serviette, un billet rédigé en grec : "Prière de respecter un pauvre voyageur inoffensif et sans ressources".

Son voyage se passa sans incidents. Il prétendit avoir trouvé la Maison de la Vierge et fit son rapport tant à Monseigneur Timoni qu'aux autorités diocésaines de Paris et même à Rome. Mais sans succès.

Dix ans plus tard, la sœur Marie de Mandat Grancey faisait lire à sa Communauté de l'hôpital français d'Izmir "La Vie de la Sainte Vierge" de Catherine Emmerich. Quand on eut terminé le chapitre relatant le séjour et la mort de la Vierge à Éphèse, elle dit à l'aumônier de la Communauté, M. Jung, Lazariste : "Éphèse n'est pas si loin, il vaudrait bien la peine d'y aller voir"

Vers la même époque, Eugène Poulin, Lazariste, Supérieur du Collège du Sacré-Cœur à Izmir, savant hébraïsant, et très au courant des coutumes judaïques, étudia lui aussi le livre de Catherine Emmerich et décida de tenter une expédition à Éphèse. S'il n'y alla pas lui-même, il envoya deux Lazaristes auxquels se joignirent deux laïcs catholiques d'Izmir.

Le 27 juillet 1891, les quatre hommes se mirent en route. A Éphèse, ils demandèrent l'aide d'un certain Mustafa, musulman qui connaissait bien la région.

Mais, comme un peu auparavant un Père Méchitariste arménien catholique prétendait avoir trouvé quelque chose à Değirmendere (Vallée des moulins), au lieu de monter par Ayasuluk (Selçuk) ils firent le tour par Azizié (Tchamlik). En arrivant au monastère grec orthodoxe de Değirmendere M. Jung, chef de l'expédition, demanda aux deux moines où la Vierge était morte : "À Jérusalem", répondirent-ils. Leur réponse démontrait qu'ils étaient restés les témoins fidèles de la tradition byzantine officielle - mais tardive - concernant le lieu de la Dormition de Marie. L'excursion de Değirmendere n'ayant apporté aucun résultat positif, les quatre explorateurs décidèrent de passer la nuit à Kuşadasi et d'essayer le surlendemain, boussole en main, en partant d'Ayasuluk, de marcher en prenant pour guide le livre de la voyante.

Le 29 juillet, vers 11 heures, fatigués, les voilà qui arrivent sur un petit plateau planté de tabac. Assoiffés, ils demandent de l'eau à des femmes qui travaillent dans les champs. "Nous n'en avons plus, répondent-elles, mais allez au monastère, vous en trouverez". Du geste elles indiquent une maison fort délabrée.

Après s'être bien rafraîchis, les quatre explorateurs regardent autour d'eux et demeurent ébahis. Quoi ! La maison en ruines, la montagne derrière la maison, la mer que l'on voit en face, mais.. c'est exactement la description de la Maison de la Vierge données par Catherine Emmerich !

Stupéfaits et émus, ils reprennent la lecture du passage contenant cette description. Toutefois, par acquit de conscience, ils veulent prospecter les sommets environnants. Catherine Emmerich, en effet, disait que du sommet de la montagne, sur la pente de laquelle était bâtie la Maison de la Vierge, on voyait à la fois Éphèse et la mer. Pendant deux jours, ils allèrent de sommet en sommet, mais de nulle part, si l'on excepte Meryem Ana, Éphèse et la mer n'étaient visible simultanément.

Il semblait donc qu'ils avaient trouvé la Maison de la Vierge. Heureux, ils rentrèrent à Izmir narrer leur découverte.

M. Poulin, supérieur de M. Jung, bien qu'il eût traité son confrère de farceur, décida de se rendre lui aussi à Éphèse.

Quinze jours après la première expédition, le 12 août, il fit lui-même l'ascension de la montagne et rentra à Izmir, résolu de poursuivre plus profondément et plus scientifiquement l'étude de cette question passionnante.

Sans tarder, le 19 août, il reprenait une seconde fois la route d'Éphèse, emmenant avec lui M. Jung et quatre catholiques cultivés.

Six jours durant, ils demeurèrent tous sur le terrain, photographiant, mesurant, relevant les données importantes.

Monseigneur Timoni, archevêque de Smyrne, qui n'avait pas oublié l'abbé Gouyet et à qui M. Poulin rendait de fréquentes visites, commença alors à s'intéresser sérieusement à la question de la résidence de la Vierge à Éphèse. Il forma une commission compétente, composée de sept prêtres et de cinq laïcs, dont lui-même se réservait la présidence.

Le 1er Décembre 1892, les douze membres, Monseigneur en tête, montaient à Meryem Ana. La commission constata une ressemblance frappante entre la description de Catherine Emmerich et les ruines de Panaya Kapulu. Procès-verbal, signé en bonne et due forme, en fut dressé sur-le champ.

Entre le 29 juillet 1891, date de la découverte de Panaya par M. Jung, et le 1er décembre 1892, jour où Monseigneur Timoni monta à la Maison de la Vierge, la Sœur Marie de Mandat Grancey avait travaillé pour acquérir la propriété en son nom personnel. Les négociations durèrent du 15 janvier au 15 novembre 1892. Ce ne fut donc que quinze jours seulement après que Sœur Marie de Mandat Grancey eut acheté la propriété qu'y monta Monseigneur Timoni.

La Maison, ainsi que l'écrira plus tard M. Poulin, était alors "encadrée de huit platanes magnifiques. Au-delà de ces platanes, à quelques mètres, vers le ravin, un svelte peuplier se détachait du massif des platanes et lançait, comme une fine flèche, sa cime élégante et légère. Belle et vénérable elle apparaissait, l'antique chapelle, avec je ne sais quoi de discret, de mystérieux, au pied de ces grands rochers, de cette montagne qui l'abrite et la domine, sous ces platanes qui la couvrent jalousement de leur ombre protectrice, avec le léger peuplier, enfin qui monte bien haut et semble regarder au loin, comme pour signaler à distance les approches de l'ennemi, ou encore, tel un mât de pavillon, destiné à servir de ralliement et semble crier au pèlerin : Venez, c'est ici ("Poulin, Hist. man. de Panaya reg. 1, p.30)

Belle et vénérable, la chapelle, ainsi que l'écrit M. Poulin, c'était trop dire. En fait, elle n'avait pas de toit et les quatre murs étaient en assez mauvais état. Aussi Sœur Marie de Mandat Grancey consacra-elle une partie de sa dot à la réparation de la chapelle et à l'aménagement de la propriété.

De juillet à décembre 1894 différents travaux furent entrepris. C'est ainsi qu'on canalisa la source, qu'on traça de nouveaux sentiers plus praticables, qu’on établit en contre-bas de la chapelle des terrassements pour un jardin potager. Plus tard, on édifia un abri pour les pèlerins et une petite maison pour les Sœurs. Le grand souci demeurait la chapelle. Pour n'y point toucher, on construisit, au-dessus de ses quatre murs, mais s'appuyant à l'extérieur, une charpente vitrée.

On peut discuter la valeur esthétique 'une pareille architecture ; peut-être aurait-on pu faire mieux ; du moins avait-on respecté les ruines de la Maison de la Vierge.

À l'intérieur de la chapelle, l'architecte M. Raymond Péré, l'auteur de ces magnifiques fresques encore visibles de nos jours dans la basilique Saint-Polycarpe à Izmir, érigea un petit autel en marbre.

C'est vers cette époque que l'on planta d'oliviers le chemin qui va à la chapelle et au milieu duquel on plaça sur un socle naturel une statue de la Vierge.

Après avoir possédé la propriété de Meryem Ana pendant 18 années, Sœur Marie de Mandat Grancey la transféra en 1910 au nom de M. Poulin, Cinq ans plus tard, en 1915, Sœur Marie de Mandat Grancey quittait cette terre pour rejoindre Notre-Dame de l'Assomption.

Sœur Marie de Mandat-Grancey, la propriétaire de Meryem Ana pour 18 ans, a transféré la propriété à M. Poulin en 1910, cinq ans avant sa mort.

Pendant la guerre de 1914-1918, la propriété a été déclarée zone militaire.

En 1920, quand les Lazaristes M. Joseph Euzet et M. Paul Saint-Germain ont eu la permission de retourner à Meryem Ana, ils ont remarqué que le toit vitré était démoli, quelques arbres étaient coupés et l'autel était en morceaux. La statue de la Vierge perdue et retrouvée a pris sa place d'honneur dans la chapelle en 1931.

En 1928 était décédé M. Poulin, laissant par testament olographe la propriété de Meryem Ana à M. Euzet.

Or le Trésor Public avait, en 1917, inscrit la propriété à son propre nom. Il y eut donc un procès. Il fallut d'abord prouver que le domaine de Panaya Kapulu était un "tarla" (terrain cultivable) et non un "djebel" (montagne). Ensuite, on démontra que le testament avait été fait avant l'entrée en vigueur du nouveau Code (Suisse) en Turquie. Finalement, en 1932, la Cour de Cassation reconnaissait à M. Euzet le droit d'exiger un titre de propriété, en vertu du testament de M. Poulin.

En 1947, il y eut une nouvelle menace d'expropriation, sous prétexte que toutes les forêts appartenaient à l'État. Il fut facile de prouver que Meryem Ana ne contenait pas d'arbres formant à proprement parler une forêt.

Enfin, en 1951, M. Euzet, avec l'accord de Monseigneur Descuffi, archevêque d'Izmir, faisait don de la propriété à une association (Panaya Kapulu Derneği) devenue par la suite "Meryem Ana Derneği",

reconnue par l'État turc et autorisée à recueillir des fonds destinés à restaurer et à mieux mettre en valeur cet antique sanctuaire chrétien.

C'est par les travaux de cette Association, et grâce à raide de M. Quatman et du Docteur Gschwind, que la chapelle et la propriété ont été revalorisées. De son côté, en 1950, le gouvernement turc, comprenant l'intérêt touristique de ce haut lieu de la chrétienté, avait ordonné la construction de la route que prennent actuellement les pèlerins se rendant à Meryem Ana.

 

 

Archéologie

 

Dès 1892, deux membres de l'École française d'Athènes montèrent à Panaya Kapulu et en repartirent convaincus de la haute antiquité de ce sanctuaire. En 1898, M Carré, architecte du gouvernement français, après une étude minutieuse, affirma très nettement que l'édifice pouvait remonter au premier siècle. Tel fut aussi l'avis de M. Hogart d'Oxford, directeur des fouilles du temple d'Artémis à Éphèse, et de M. Rosetti, architecte officiel du gouvernement italien. Si le R.P. Lagrange et M. Lambakis devaient plus tard reporter à une date plus récente la construction de la "Maison de la Vierge", il faut pourtant reconnaître que les dernières recherches indiquent assez clairement que la substructure de la chapelle est du premier siècle. Telles sont du moins les conclusions du Pr. Prandi qui, après la campagne de fouilles effectuées en 1966, pouvait conclure, pour reprendre les termes de la communication qu'il fit au Congrès Mariologique international de Lisbonne (1967) que la petite chapelle fut conditionnée par quelque chose de préexistant, sa forme ayant dû s'adapter à des maçonneries plus anciennes que les constructeurs ne voulurent pas abattre. À quoi l'éminent professeur ajoute que "trois tombes découvertes durant les recherches ont fait connaître que les cadavres y étaient orientés vers Meryem Ana », en signe de spéciale vénération.

 

 

Pèlerinages

 

Le premier pèlerinage à Meryem Ana eut lieu en 1896, cinq ans après la découverte de la « Maison de la Vierge ».

Comme le rapporte M. Euzet, deux trains avaient amené, de Smyrne à Éphèse, de 1 300 à 1 400 pèlerins. La plus grosse moitié de ces groupes se dirigea vers la montagne et bientôt commença l’ascension. C’était un spectacle pittoresque que celui de cette foule serpentant dans les sentiers en lacets, qui à dos d’âne ou de cheval, ici par groupes assez compacts, plus loin en files séparées. On vivait alors, si l’on peut dire, l’époque héroïque, car aucune route ne menant au sanctuaire, il fallait monter par des sentiers pénibles. En 1908 un prêtre lazariste, fatigué par l’ascension, s’écroula pour ne plus se relever, à quelques centaines de mètres de la chapelle.

Le premier pèlerinage venu de l'étranger eut lieu en 1906. Il avait à sa tête le professeur Miner et le Père Kayser. Il comprenait 47 personnes, dont 10 protestants.

Si jusqu'à la deuxième guerre mondiale il n'y eut pas de grand pèlerinage, on peut toutefois noter que des personnes de renom tinrent à voir la Maison de la Vierge. Citons entre autres : le R.P. Lagrange, le R.P. Joüon, le Cardinal di Lai, Le Baron de Vaux.

Entre 1914 et 1927, aucune messe ne fut célébrée dans le sanctuaire et en 1929, M. Euzet faisait constater que le pavage de la chapelle était couvert de bouses de vaches. Voulant reprendre les traditions d'avant la première guerre mondiale, les Lazaristes et les Filles de la Charité organisèrent en 1932, avec les élèves des écoles, un pèlerinage au sanctuaire de la Vierge. Il en fut ainsi les quatre années suivantes. Cependant, de 1937 à 1949, aucun autre pèlerinage ne monta à la Maison de la Vierge. Ce n'est qu'en 1949 que, pour un groupe d'enfants de Marie venu d'Istanbul, Monseigneur Descuffi célébra la messe dans la chapelle sans toiture.

On peut considérer qu'une nouvelle période dans l'histoire de Meryem Ana s'ouvre avec l'année 1950.

C'est, à Rome, la définition du dogme de l'Assomption. Monseigneur Gschwind, chanoine de Bâle, que la guerre de 1939 avait retenu à Istanbul et qui avait profité de ce séjour pour étudier les antiquités d'Asie Mineure, projeta de conduire un pèlerinage à Meryem Ana le 1er Novembre, jour de la définition du dogme.

Ce pèlerinage fut annoncé jusque dans la presse turque. Le tourisme turc fit alors construire une route qui permit aux voitures de monter aisément jusqu'auprès de la chapelle.

Depuis lors, touristes et pèlerins affluent en tout temps au sanctuaire, On estimait, pour l'année 1962, à une centaine de mille le nombre de chrétiens qui étaient montés à la chapelle de la Vierge. Et, chose remarquable, les musulmans étaient aussi nombreux.

Depuis la venue du Pape Paul VI (26 juillet 1967} qui a prié dans la chapelle, l'afflux des pèlerins n'a fait que croître.

 

 

Meryem Ana et la hiérarchie ecclésiastique

 

Monseigneur Timoni, archevêque d'Izmir, dirigea donc la première enquête officielle sur Meryem Ana. C'était à la fin de 1892. La Sœur de Grancey poussait le Père Poulin à annoncer, sans plus attendre, la découverte au Saint-Siège. Mais le Père Poulin désirait avoir en main le maximum d'indices positifs. En 1895, Léon XIII envoya en Orient une commission extraordinaire chargée d'étudier la question des rites orientaux. Le Commissaire principal de cette commission était le T.R.P. Eschbach, Supérieur du Séminaire Pontifical Français. Ayant entendu parler en Palestine de la découverte de la Maison de la Vierge à Éphèse, il demanda à M. Poulin de lui donner un compagnon pour se rendre lui-même sur les lieux M. Jung fut désigné pour l'accompagner. À son retour à Rome, le T.R.P. Eschbach rendit compte à Léon XIII de sa mission et lui fit voir aussi les photographies de Panaya Kapulu. Le Saint-Père les examina et les conserva.

Très rapidement, la grande presse parla de la découverte de la Maison de la Vierge. Monseigneur Timoni prit sous sa responsabilité la publication de la brochure de "Panaya Kapulu". C'était en 1896. Pie X et Pie XI, ayant pris connaissance des brochures concernant Panaya Kapulu, loin de contrecarrer les thèses défendues dans ces opuscules, félicitèrent leurs auteurs pour la contribution par eux apportée dans une question si disputée.

En 1931 fut célébré le 15e centenaire du Concile d'Éphèse. Monseigneur Roncalli, le futur Pape Jean XXIII, alors Délégué Apostolique en Bulgarie, se rendit avec Monseigneur Tonna, archevêque d'Izmir, à la Basilique du Concile, mais faute de route, ne put monter à Meryem Ana.

On ne peut passer sous silence l'œuvre immense accomplie par Monseigneur Descuffi, archevêque d’Izmir de 1937 à 1966. Par sa ténacité, il fit de Meryem Ana un grand centre de piété mariale.

Lorsque l’archevêque d’Izmir, à cause de son grand âge, qui dépassait de beaucoup la limite de 75 ans fixée par le Concile, donna librement sa démission après 28 ans d’épiscopat ; le Saint-Père le félicita du sacrifice qu’il faisait, et lui remit en témoignage de sa satisfaction, un calice en or sculpté aux effigies en haut-relief du Sacré-Cœur, de la Sainte Vierge et de Saint Joseph, en l'assurant qu'il n'avait que des éloges à lui adresser pour la manière dont il s'était acquitté des devoirs de sa charge. Alors, l'ex-Archevêque, ému jusqu'aux larmes, se permit d'inviter le Saint-Père à venir visiter la Turquie.

Paul VI sourit en lui disant : "Qui sait ! Nous nous reverrons !".

 

 

Visite de Paul VI à Meryem Ana

 

 

Paul VI tint parole, et après avoir reçu un accueil triomphal à Istanbul, il vint rendre ses hommages à Notre-Dame d'Éphèse à Panaya Kapulu, le 26 juillet 1967. Le siège de l'Archevêché était encore vacant. Le vicaire général était malade, beaucoup de curés étaient partis en vacances. Mais l'accueil au Souverain Pontife ne fut pas moins imposant grâce au concours des fidèles et des membres de la Mission américaine. M. le Docteur Karl Gschwind, accompagné de sa respectable secrétaire Mlle Hedwing Schindler, était présent.

Paul VI escorté par la foule qui l'acclamait, entra lui-même dans le sanctuaire de Panaya, honneur qu'il n'avait pas accordé à la tombe de Gethsémani, lors de son voyage en Terre Sainte. Il pria longtemps devant l'autel de Notre-Dame d'Éphèse.

Il alluma lui-même la veilleuse qu'il avait apportée dans un lampadaire sculpté à ses armoiries, pour faire pendant au cierge de la Chandeleur que le Pape Jean XXIII avait déjà tenu à envoyer, comme il l'avait fait pour tous les grands sanctuaires de la Vierge.

Après cet acte de dévotion dans le sanctuaire qui rappelle le séjour incontesté de la Théotokos à Éphèse, auprès de saint Jean, le Souverain Pontife alla se reposer pendant une heure dans la maison des Filles de la Charité.

En souvenir de la Sœur Marie de Mandat Grancey, fondatrice de Panaya, il laissa à la Supérieure des Sœurs un calice en or pour leur oratoire. Avant de partir, il reçut les hommages des membres du clergé qui étaient montés avec lui à Panaya, et des membres du Dernek qui lui offrirent une plaque en or sur laquelle était artistement gravée l'effigie du sanctuaire de Meryem Ana.

Son successeur, le Pape Jean Paul II, le 30 Novembre 1979, lors de son passage à Éphèse, se rendit uniquement à Meryem Ana où il célébra la Messe devant une foule recueillie de pèlerins et de touristes.

Ces pèlerinages de Souverains Pontifes, s'ils n'apportent aucun élément nouveau du point de vue dogmatique ou archéologique, eurent du moins l'avantage de faire connaître au monde entier, par la presse et la télévision, "Le mystère de la Maison de la Vierge"."

 

 

Extraits du livret Le Mystère de la Maison de la Vierge,

Izmir, 2007

 

 

 

 

 

 

 

 

La Basilique Saint Jean, à Éphèse